Face à un endettement qui pèse lourdement sur leurs économies, les États africains amorcent un virage stratégique. Le continent explore des mécanismes de financement innovants pour regagner une souveraineté économique mise à mal. À Lomé, la conférence de l’Union africaine sur la dette a donné le ton d’une nouvelle ambition collective.
Du 12 au 14 mai 2025, Lomé, la capitale togolaise, a été l’hôte de la première Conférence de l’Union africaine sur la dette publique. Cet événement a réuni des experts financiers qui ont établi un diagnostic détaillé de la situation et suggéré des solutions de financement novatrices. Le bilan est préoccupant : en 2024, la dette publique africaine atteignait 1 860 milliards d’euros. En moins d’une décennie, le rapport moyen entre la dette et le PIB a progressé de 44,4 % à 66,7 %. Le Fonds monétaire international indique que 22 nations africaines sont en situation de surendettement. Face à cette réalité, le continent est appelé à réévaluer ses priorités budgétaires.
L’idée principale, c’est d’avoir une bonne gestion de son endettement qui va dans le sens de la viabilité, de la soutenabilité, du coût de cette dette, de la solidité de cette dette. Et bien sûr, partant de là, les pays doivent s’organiser pour avoir une entité dans un cadre transparent qui va gérer cette dette, avoir des institutions qui vont contrôler cette dette et qui vont surveiller sans évolution.
Mohamed Boussaïd, Ancien ministre de l’Économie et des Finances
Aujourd’hui, moins de 40 % des pays africains publient des rapports détaillés sur leur dette. Une opacité qui aggrave les primes de risque imposées par les agences de notation internationales. Face à cela, l’Union africaine propose une réponse souveraine : une Agence panafricaine de notation de crédit, conçue pour rétablir une évaluation plus juste des économies africaines.
Au niveau africain, il est important qu’il y ait une collaboration parce que nous constatons que le défi est très grand en termes d’accompagnement des pays. Il est important aussi que nous puissions nous mettre ensemble pour pouvoir mieux les assister, parce que nous n’avons pas aussi toutes les capacités de ressources humaines et financières à agir. Mais si nous mettons les ressources humaines ensemble et les ressources financières ensemble pour être plus efficaces et dupliquer les efficacités en termes de nos appuis pour les pays qui en ont besoin.
Rodolphe Bance, Responsable de la gouvernance économique et sociale – Burkina Faso
En 2024, les pays africains ont déboursé près de 90 milliards de dollars pour le service de la dette, soit presque le double de l’aide étrangère reçue et plus que les budgets annuels santé-éducation réunis de nombreux États. Le continent accuse aussi un déficit d’infrastructures estimé entre 130 et 170 milliards de dollars par an, alors que l’accès à un financement long terme reste hors de portée. Face à cette impasse, l’Union africaine réclame une réallocation équitable des Droits de Tirage Spéciaux, dont plus de 85 % restent concentrés dans les pays du G20.
Je suis convaincu que nous devrions commencer par le Fonds monétaire africain, car il aura un impact direct sur la stabilité macroéconomique. Nous pensons qu’une fois que nous aurons réglé ce problème, une fois que nous aurons réglé toutes ces instabilités, qu’il s’agisse de dette ou autre, nous pourrons envisager de passer aux investissements, ce qui indique que nous avons besoin d’investissements en Afrique.
Joy Ntare, Directrice générale adjointe de la Banque du Commerce et du Développement
À court terme, les nations africaines s’engagent à améliorer leurs pratiques internes par la lutte contre les flux financiers illégaux, une gestion budgétaire rigoureuse et une meilleure mobilisation de leurs propres ressources. À long terme, le projet d’Institut monétaire africain, en gestation depuis deux décennies, refait surface. L’objectif est de construire une structure financière continentale apte à soutenir les investissements sans recourir aux marchés externes.