«La Zone de libre-échange continentale (ZLEC), un facteur de dynamisation du commerce africain»
Bienvenue dans ce nouveau numéro de Décryptage sur AFRICA24. En marge des 29èmes assemblées annuelles de la Banque africaine d’import-export, Afreximbank, qui se sont déroulées du 15 au 18 juin 2022 au Caire en Égypte, nous avons reçu Monsieur Hippolyte Fofack, de nationalité camerounaise, économiste en chef et directeur de recherche à Afreximbank.
Le thème des 29èmes assemblées annuelles d’Afreximbank était « Réaliser le potentiel de la ZLECAF à l’ère post COVID-19: Tirer parti du pouvoir de la jeunesse ». Quelle est votre vision pour les jeunes dans l’opérationnalisation de la ZLECAF et quelles sont les initiatives adoptées par votre département à l’Afreximbank pour autonomiser les jeunes afin de réaliser le potentiel de ce marché commun?
Je pense qu’il est important de souligner que l’Accord de libre-échange continental africain (ZLECAF) est entré en vigueur en janvier 2021 au milieu de la pandémie de Covid 19. C’était un gros challenge pour qu’il entre en vigueur. La ZLECAF, comme vous le savez, a été présentée comme un facteur de dynamisation et cet accord commercial a un potentiel énorme pour stimuler le commerce intra-africain. Nos estimations montrent que le commerce en Afrique pourrait augmenter de plus de 30% au cours de la prochaine décennie et que la croissance du commerce intra-africain sera largement portée par les produits manufacturés à forte intensité de main-d’œuvre. L’accord créera donc des opportunités pour des millions d’Africains qui cherchent à intégrer le marché du travail chaque année. La ZLECAF a été présentée comme un facteur de dynamisation, car elle a le potentiel pour le commerce et l’industrialisation. Elle a également un énorme potentiel de changer davantage la distribution des investissements directs étrangers en Afrique vers la fabrication. Il est tout à fait clair pour nous à Afreximbank que le potentiel de la ZLECAF est important à la fois pour le commerce et l’industrialisation qui, dans le cas de l’Afrique, se renforceront mutuellement car le commerce intra-africain est dominé par les produits manufacturés. Même si le potentiel de la ZLECAF est important, à Afreximbank, nous pensons que cet accord est nécessaire mais pas suffisant. Pour atteindre le statut de suffisance, nous devons commencer à combler l’écart existant dans la production manufacturière. C’est là où la jeunesse africaine entre en jeu. Elle jouera un rôle majeur dans un monde où la technologie et la digitalisation sont devenues d’importants vecteurs de croissance. Ces domaines présentent de nombreux avantages en termes de compétences. Nous considérons les jeunes comme les principaux moteurs du développement de l’Afrique, mais aussi comme des catalyseurs clés pour réellement réaliser le potentiel de la ZLECAF. La jeunesse est également très importante dans le sens où, nous sommes à une époque où les industries culturelles et créatives sont en plein essor, elles se développent assez rapidement et il n’y a pas mieux pour les jeunes que les espaces créatifs et culturels. Les espaces de connaissances, de l’industrie et des réseaux sont les lieux où les jeunes peuvent être considérés comme les moteurs de l’innovation. Si nous soutenons les jeunes, nous pouvons également, par le biais des industries culturelles et créatives, tirer parti du plein potentiel de la ZLECAF pour faire avancer sa mise en œuvre. Parlant des initiatives adoptées par mon département à l’Afreximbank pour soutenir la jeunesse africaine, vous serez heureux de savoir que, la banque a récemment lancé le CANEX, Creative Africa Nexus, pour soutenir et créer une dynamique de croissance dans les industries créatives et culturelles qui génèrent plus de 2,3000 milliards de dollars de revenus au niveau mondial et plus de 30 millions d’emplois. Je pense que le potentiel de l’Afrique est encore plus impressionnant compte tenu de l’explosion de la jeunesse, mais aussi de la créativité de celle-ci pour apporter la richesse de la culture africaine au monde. Au fur et à mesure que le monde l’adoptera, elle deviendra un facteur de demande et de croissance mondiales. La banque s’est également rendue compte que parfois, ce dont les jeunes ont le plus besoin n’est pas vraiment un prêt, mais plutôt de les accompagner sur un projet spécifique pour le faire mûrir et se concrétiser. À cet égard, la banque a lancé il y a quelques années, le FEDA, Fonds pour le développement des exportations en Afrique. Si un jeune africain a une très bonne initiative qui peut être transformée en un excellent produit au profit du continent et du monde, cette initiative ne sera pas négligée à cause du déficit de financement. Nous soutenons ces initiatives par le biais de prises de participation, afin que, comme le disait souvent le président Oramah, “plus aucune grande initiative sur ce continent ne meurt en raison d’un manque de financement”. Nous avons également notre programme d’incubation de PMES qui est là pour accompagner les jeunes start-up. Nous engageons des jeunes à travers le continent dans le domaine de la recherche en économie. Nous allons travailler avec les universités pour nous assurer que nous leur apportons le financement nécessaire pour accroître leurs connaissances sur le financement du commerce. Dans l’espace des négociations commerciales, la banque travaille avec un bon nombre d’universités également pour s’assurer que le financement du commerce et les matières premières deviennent des articles ménagers.
Quelle est votre évaluation du niveau de croissance des économies africaines à ce jour? Quels sont les défis et comment peuvent-ils être relevés?
Comme l’a souligné le président égyptien lors de l’ouverture des assemblées annuelles d’Afreximbank, l’Afrique a fait preuve d’une forte résilience au cours de la dernière décennie. Lorsque la pandémie a frappé, toutes les prévisions montraient que les économies africaines allaient se contracter de 4 à 5%, mais à la grande surprise, l’Afrique s’est contractée d’environ 1,6%. Certes, il s’agit tout de même d’une contraction, la première en 25 ans, mais elle est mieux que la moyenne mondiale de plus de 3,1%. Il y a donc eu une forte résilience en 2020. Le rebond que nous avons vu l’année dernière a été assez impressionnant. Au niveau mondial, nous avons vu une reprise de 6,1% et de 6,9% pour l’Afrique. Je pense que cela témoigne de la résilience des économies africaines qui ont réalisé les contractions les plus faibles et les rebonds les plus importants en 2021. Cela reflète une combinaison de plusieurs facteurs à la fois externes et internes. Cela reflète également un bon nombre de mesures audacieuses prises par des institutions multilatérales comme le FMI, mais aussi l’Afreximbank, par le biais de sa facilité d’atténuation de l’impact commercial de la pandémie de covid 19 pour limiter les récessions et prolonger la prospérité. Rappelons que l’Afrique a connu sa première récession en 25 ans mais nous en sommes sortis l’année suivante. Notre souhait est que nous continuons de connaître cette forte croissance et cette reprise en 2022, malgré les défis géopolitiques en Ukraine. Nous devons également sortir durablement des pressions inflationnistes qui ont contraint la plupart des banques centrales à subir un resserrement financier. C’est l’environnement difficile dans lequel nous nous trouvons actuellement. En raison de cette combinaison de facteurs économiques, financiers et géopolitiques, les prévisions mondiales ont été fortement revues à la baisse. Les nouvelles prévisions de croissance du FMI pour le monde sont estimées à 3,4%, contre 4% auparavant, mais ce qui est assez intéressant, c’est le maintien des prévisions de croissance de l’Afrique pour 2022 à près de 4%, ce qui reflète cette résilience. Si vous examinez de près, sur plus de 50 pays, nous en avons environ 16 où le taux de croissance dans les prévisions de 2022 sera supérieur à 5%. Cela inclut à la fois les grandes et les petites économies. Si vous prenez le cas de la Guinée équatoriale, par exemple, qui a traversé quatre années de récession, elle connaîtra une croissance de plus de 5%. Du côté des grandes économies, l’Égypte connaîtra une croissance de 5,9%. Même dans les pays qui ne devraient pas connaître une croissance supérieure à 5%, nous avons constaté une révision à la hausse significative des prévisions de croissance. Le Nigeria, par exemple, est passé de 2,1% en janvier, à 3,4% après la crise ukrainienne. Nous avons observé la même tendance avec l’Angola, un autre pays exportateur de pétrole. La crise ukrainienne a favorisé les prix des matières premières et les pays exportateurs de pétrole en particulier en bénéficient. Dans nos prévisions, nous estimons que 2022, malgré tous les défis, sera une année où l’Afrique connaîtra une croissance d’environ 4 à 4,2%.
Vous avez présenté le rapport sur le commerce africain d’Afreximbank 2022 lors des 29èmes assemblées annuelles d’Afreximbank au Caire. Pouvez-vous nous donner quelques axes principaux de ce rapport?
Je pense que ce rapport est le produit phare annuel d’Afreximbank. C’est le seul rapport commercial africain au monde. Il est considéré très indispensable par le président égyptien et c’est pourquoi malgré ses multiples engagements, il a personnellement lancé le rapport comme cela se fait par le passé. Cette année en particulier, je pense que le rapport sur le commerce est l’occasion pour nous de prendre le baromètre du commerce africain et également du commerce mondial. Comme vous le savez, le commerce est étroitement lié à la croissance. À mesure que la production augmente, la demande et le commerce mondiaux augmentent également. Je pense que le commerce a également fortement rebondi en 2021, augmentant de manière significative. Parallèlement, nous avons constaté un fort rebond du commerce extra-africain, qui a augmenté de plus de 30% en 2021. C’était un autre axe majeur du rapport. Nous avons remarqué que pendant la pandémie, la contraction du commerce intra-africain était beaucoup plus faible que le commerce extra-africain, ce qui reflète en effet le fait que le commerce intra-africain peut être considéré comme un absorbeur efficace des chocs mondiaux. Suite à cette résilience en 2020, le commerce intra-africain a augmenté de plus de 18% en 2021. Un autre aspect intéressant du rapport est que, malgré ce rebond du commerce intra-africain, la part du commerce intra-africain dans le commerce africain total reste inférieur à environ 15% contre plus de 70% en Europe. Cela montre qu’il y a de l’opportunité pour développer le commerce intra-africain et c’est là que la ZLECAF changera énormément la donne. Elle augmentera considérablement le commerce intra-africain et atténuera l’exposition de l’Afrique aux chocs mondiaux. Un autre résultat important de ce rapport sur le commerce est que même au sein de l’espace commercial intra-africain, la répartition est assez inégale. Il est fortement incliné vers l’Afrique australe. L’Afrique du Sud représente à elle seule près de 20% du commerce intra-africain total, ce qui est assez important. Étant donné que le commerce intra-africain au sein de l’Afrique australe a augmenté plus rapidement que le reste des quatre autres régions, l’Afrique australe représente désormais à elle seule près de 44% du commerce intra-africain total, ce qui donne l’opportunité à l’Afrique du Nord, à l’Afrique centrale, à l’Afrique de l’Est et de l’Ouest pour augmenter leur part. Nous avons examiné les estimations du potentiel commercial intra-africain et le potentiel d’expansion de celui-ci est important dans toutes les régions. Au niveau mondial, un autre aspect important concerne les partenaires commerciaux africains. Rappelons que pendant de nombreuses décennies, l’Europe a été le partenaire commercial historique de l’Afrique en vertu de liens historiques. Mais nous avons vu en 2018, l’Asie dépasser l’Europe pour devenir le principal partenaire commercial de l’Afrique et le rapport commercial actuel montre que l’Asie a consolidé sa position pour représenter près de 33% du commerce africain total, ce qui est assez important. Ce sont les points forts du rapport. Un autre aspect thématique important du rapport est l’accent mis sur les industries culturelles et créatives sur le continent. C’est la première fois qu’un rapport majeur sur le continent est consacré à de tels secteurs. C’est assez intéressant parce que l’Union africaine a déclaré 2021, l’année de la culture africaine, puis Afreximbank a produit un rapport commercial essentiellement axé sur cela. Le rapport montre également que les industries culturelles et créatives sont des industries en développement sur le continent et dans le monde. Les estimations montrent qu’elles pourraient représenter plus de 2,3000 milliards de dollars de revenus dans le monde, créant plus de 30 millions d’emplois. En Afrique, nous observons une tendance similaire avec des perspectives de croissance importantes, que ce soit dans les industries du cinéma, de la musique ou de la mode. Afreximbank investit beaucoup pour soutenir la croissance de l’industrie créative compte tenu de son potentiel. Nous pensons que tirer partie du pouvoir de la jeunesse africaine pour booster l’industrie créative stimule non seulement la croissance économique, mais pourrait également approfondir l’intégration régionale dans le cadre de la ZLECAF, en alimentant le processus de convergence culturelle. Imaginez que le textile devienne l’industrie dominatrice sur tout le continent. Les bénéfices seront significatifs non seulement pour le textile mais également pour la convergence culturelle qui joue un rôle clé dans le processus d’intégration économique.
Pouvez-vous nous dire comment Afreximbank aide les économies africaines à se remettre rapidement de la guerre en Ukraine qui affecte significativement le commerce et l’investissement à l’échelle mondiale?
La guerre en Ukraine a en effet ralenti le processus de reprise économique dont nous avons profité à la sortie du covid 19. Elle a affecté l’économie mondiale par un certain nombre de canaux, en particulier dans les pays d’Afrique du Nord et d’Europe de l’Est. Elle a également affecté l’économie mondiale par le biais du commerce, des matières premières et du financement, notamment, après la mise en œuvre des sanctions imposées par l’Occident contre la Russie. La banque qui est devenue très efficace en tant qu’institution contracyclique fournissant un soutien pour atténuer les impacts de la crise mais aussi pour prolonger la prospérité, a lancé l’UKAFPA, le programme de financement du commerce d’ajustement de la crise ukrainienne pour l’Afrique pour aider les pays africains touchés par la flambée des prix à l’importation ou qui ont des difficultés à accéder à des produits comme les céréales et les engrais. Dans certains cas, ce sont les recettes touristiques qui sont affectées. L’UKAFPA est donc là pour fournir un soutien opportun aux pays membres afin d’aider à atténuer les retombées de cette crise. L’initiative a été très bien accueillie et nous avons mis de côté 4 milliards de dollars pour ce programme, mais les demandes sur cette facilité ont largement dépassé les 16 milliards pour la première phase de sa mise en œuvre.
En tant qu’institution de financement du commerce, comment Afreximbank peut-elle tirer parti du potentiel de la ZLECAF et quelles sont les opportunités présentées par l’institution pour stimuler l’entrée en vigueur de cet accord?
Afreximbank a beaucoup investi dans la ZLECAF et la banque travaille en étroite collaboration avec le secrétariat de la ZLECAF pour s’assurer que cet accord commercial tient ses promesses et son potentiel. La banque veille également à ce que la ZLECAF travaille pour garantir l’Afrique que nous voulons. Si Afreximbank n’existait pas, la ZLECAF aurait donné naissance à Afreximbank car il est assez difficile d’envisager la mise en place de la ZLECAF sans Afreximbank. Les deux institutions travaillent en étroite collaboration pour s’assurer que ce rêve devienne réalité et la banque le fait à travers plusieurs initiatives. Il existe des soutiens institutionnels directs au secrétariat de la ZLECAF, mais aussi le financement du commerce africain. La principale contrainte au commerce africain est le déficit de financement qui est estimé à environ 120 milliards de dollars par an. Dans notre plan 5, nous avons augmenté le financement du commerce intra-africain à 20 milliards et le président Oramah a indiqué qu’il avait l’intention de doubler ce montant à 40 milliards de dollars au cours du plan 6 pour soutenir davantage la mise en œuvre de la ZLECAF. Il s’agit de s’assurer que le financement n’est plus une contrainte à la croissance du commerce intra-africain à l’ère de la ZLECAF.