Selon les experts, l’Afrique est à l’aube d’une ère nouvelle avec la mise en œuvre de l’accord sur la Zone de libre échange continentale, la ZLECAf, considéré comme le plus grand projet jamais réalisé en Afrique après les indépendances. Signé en 2018 à Kigali, il représente la plus grande zone de libre-échange au monde par le nombre des pays participants, avec un marché de 1,4 milliards de personnes. Depuis sa signature, plusieurs négociations ont eu lieu et un bon nombre de protocoles ont été signés pour sa mise en œuvre effective. C’est d’ailleurs dans ce cadre que, six ans après, Kigali a accueilli les hommes d’affaires africains pour discuter et décider des options et des actions à prendre pour accélérer l’implémentation de la ZLECAf.
Le 21 mars 2018, 44 chefs d’États et de gouvernements africains, réunis à Kigali, capitale du Rwanda, signèrent l’accord portant sur la création de la Zone de libre échange continentale africaine, la ZLECAf, créant ainsi la plus grande zone d’échange au monde. Une prouesse à laquelle beaucoup ne croyaient pas et dont il faut être fier, comme l’a rappelé Wamkele Mene, lors de la deuxième édition du Forum des affaires de la ZLECAf (Biashara Afrika), organisé dans la capitale rwandaise du 9 au 11 octobre 2024. Depuis la signature de la ZLECAf en mars 2018, 48 pays ont ratifié l’accord, les négociations de tous les protocoles ont été conclues avec succès selon son secrétaire général.
“Le niveau d’ambition et d’engagement pour y parvenir était sans précédent. À l’époque, ceux qui nous critiquaient disaient que les Africains ne signeraient pas cet accord, affirmant qu’ils n’avaient pas l’habitude de conclure ce qu’ils entreprenaient. Mais l’accord a été signé. Le président Kagame était le président en exercice de l’Union africaine à l’époque et l’accord est entré en vigueur l’année suivante, en 2019, il est devenu juridiquement contraignant. Il s’agit de l’instrument le plus rapide à entrer en vigueur depuis la création de l’Organisation de l’unité africaine.”
Wamkele MENE, Secrétaire général de la ZLECAf – Afrique du Sud
Des échanges commerciaux significatifs ont commencé, à la faveur de l’initiative de commerce guidé de la ZLECAf, qui a été lancée en 2022 avec sept pays. En 2024, 39 pays ont rejoint le groupe de pays de l’initiative de commerce guidé. C’est l’une des annonces fortes du Biashara Afrika 2024. L’Initiative du commerce guidé a été conçue sur le continent africain comme une solution provisoire pour lancer des échanges commerciaux au tarif préférentiel entre les États parties intéressés et ayant satisfait aux exigences minimales pour commencer à commercer dans le cadre de la ZLECAf.
“Cette initiative est conçue pour être un catalyseur pour la facilitation des échanges entre les États parties. Cette phase pilote était essentiellement réservée au commerce des marchandises. Son évaluation s’est révélée concluante et le secrétariat entend poursuivre l’initiative en incluant les services. Près d’une quarantaine d’États parties ont manifesté leur intérêt à y participer. ”
Mahamadou ISSOUFOU, Champion de l’Union africaine pour la ZLECAf – Niger
Avec pour thème: Oser inventer l’avenir de la ZLECAf, l’édition 2024 du Biashara Afrika a été une belle occasion pour se poser les bonnes questions notamment sur les voies d’une meilleure implication du secteur privé dans son implémentation. L’un des points importants de cette mise en œuvre est la création des chaînes de valeur régionales pour accompagner et accélérer le commerce intra-africain. Dans le cadre des chaînes de valeurs régionales, quelques secteurs clés ont été identifiés comme étant prioritaires et devraient porter l’économie africaine dans les 10 ou 20 prochaines années.
Le secteur automobile, bien que faisant face à d’énormes défis, compte parmi les plus prometteurs si les politiques automobiles sont adoptées et mises en œuvre par les pays africains.
D’ici 2035, l’Afrique devrait produire entre 4 et 5 millions de véhicules contre 1,1 million en 2022
“L’Association africaine des constructeurs automobiles est un puissant moteur ou un puissant conseiller si les pays sont intéressés par ces politiques automobiles pour surmonter les défis liés aux véhicules d’occasion, pour mettre en œuvre des mécanismes d’investissement liés au commerce pour la construction automobile, pour que les fournisseurs viennent mettre en œuvre le financement des actifs des véhicules afin de résoudre les problèmes d’accessibilité financière. La logistique en est certainement une. Pour pouvoir un jour transporter des voitures, comme des voitures fabriquées, de l’Égypte vers l’Afrique du Sud, le chemin est encore très long. Et je suis heureuse que la logistique et le transport soient également parmi les domaines clés de l’Accord de libre-échange continental africain. Mais cela ne concerne pas seulement notre industrie. Je pense que de nombreuses industries y sont confrontées.”
Martina Biene, Présidente de l’Association africaine des constructeurs automobiles – Allemagne
Un autre secteur attire particulièrement l’attention du secrétariat de la ZLECAf et l’Union africaine comme étant l’un des secteurs les plus prometteurs et donc prioritaires en termes d’investissements. Il s’agit de la fabrication des vaccins et des médicaments sur le continent. D’après l’OMS, l’Afrique importe plus de 98% de ce qu’elle consomme en termes de vaccins mais en 2023 l’Africa CDC a dressé une cartographie claire de la capacité de production du continent, avec un objectif devant permettre de fabriquer 60% des besoins en vaccins à l’horizon 2040. Un défi de taille mais qui n’est pas impossible à relever selon le directeur général de l’Africa CDC.
Pour accroître la production locale de biens et de services sur le continent africain, afin de permettre aux Etats de tirer le meilleur parti des avantages de la ZLECAf, figure le défi des financements des PME. Cette question cruciale a été également abordée au Biashara Afrika 2024, avec un appel aux banques à trouver des formules novatrices pour adresser ce défi. Selon le FMI, plus de la moitié des 40 millions de PME identifiées en Afrique subsaharienne n’ont pas accès au crédit. Les PME représentent pourtant plus de 90% des entreprises du continent, 60% de la main d’œuvre.
“Le principal facteur de changement dans ces deux domaines restera les technologies de l’information, la numérisation, et bien sûr, ces jours-ci, nous avons un très fort développement de l’IA qui vient s’ajouter à la numérisation normale et nous nous attendons à ce que cela rende beaucoup plus facile pour les entreprises, les institutions financières d’atteindre les petites entités, les PME, et de les servir en utilisant différents modèles d’affaires comme nous l’avons vu avec succès dans un certain nombre d’environnements en Afrique de l’Est et de l’Ouest où vous avez essentiellement entendu cette intermédiation d’êtres humains utilisant des technologies numériques, des plates-formes numériques pour amener à bord des clients, les servir, les traiter beaucoup plus efficacement et à faible coût. Ainsi, je pense que l’avenir du financement du commerce transfrontalier, en particulier pour les PME, sera grandement amélioré par le développement d’une technologie continue et de nouveaux modèles commerciaux connexes, mais la réglementation restera bien sûr essentielle et je pense que c’est là que la ZLECAf a beaucoup à faire pour tendre un miroir aux régulateurs nationaux africains et les inciter à assouplir certaines de ces réglementations. ”
Admassu Tadesse, Président-directeur général de la Banque de commerce et de développement (TDB)
Un autre problème crucial à considérer est la circulation des Africains sur leur propre continent. L’Union africaine note une lenteur des Etats dans l’adoption du Protocole sur la libre circulation.
“La question demeure : dans quelle mesure est-il facile pour nos commerçants de se déplacer à travers les frontières? Le Protocole de l’Union africaine sur la libre circulation des personnes a également été signé, un instrument jumeau de la ZLECAf, mais il n’a pas connu le même élan. Bien que 33 États membres aient signé le protocole aujourd’hui, environ 27 ici à Kigali en 2017, seuls quatre l’ont ratifié, ce qui est inférieur aux 15 nécessaires pour que le protocole entre en vigueur.”
Monique NSANZABAGANWA, Vice-présidente de la Commission de l’UA – Rwanda
Selon le président rwandais Paul Kagame, tout est question de volonté politique pour améliorer les mouvements de personnes sur le continent. Le Rwanda compte parmi les quatres pays ayant ratifié le protocole sur la libre circulation des personnes en Afrique.
“En effet, l’Afrique est capable de s’unir pour résoudre ses propres problèmes. Ici, je vais d’ailleurs exhorter nos dirigeants à s’assurer que certaines des choses qui nous empêchent d’avancer, et qui ne sont en fait pas trop difficiles à résoudre, ne continuent pas d’être le cas. Nous devons réformer notre politique et notre gouvernance. Et tout commence par un état d’esprit et une vision claire.”
Paul KAGAME, Président de la République – Rwanda
La ZLECAf, un des projets majeurs de l’Agenda 2063 de l’UA “L’Afrique que nous voulons”, se veut inclusif, en ne laissant personne de côté, dont les PME; mais aussi les femmes et les jeunes qui constituent plus de la moitié de la population du continent. Des acteurs estiment que les paiements digitaux pourraient constituer une opportunité dans ce cadre.
“Le protocole sur le commerce numérique vise à harmoniser les réglementations pour que ces paiements marchands fonctionnent. L’accent est mis sur les transferts de fonds et il est dilué, l’urgence des paiements marchands est ce qui se fait tous les jours et le commerce se fait tous les jours et nous avons besoin qu’ils fonctionnent. La réglementation joue donc un rôle important, mais le passage de l’argent liquide aux codes de commerçant comme mode de paiement serait la façon la plus responsable de faire fonctionner ces paiements. Mais les commerçants doivent d’abord avoir les téléphones mobiles bien fonctionnels, ils doivent avoir la connectivité nécessaire, la qualité de service du fournisseur doit être parfaite. Comment rendre ces paiements interopérables de manière à ce que les fournisseurs de paiements se fassent concurrence uniquement sur la qualité et le coût du service ? Je pense que c’est le travail des régulateurs et je serais heureuse d’apprendre d’eux ce qu’il nous faudra pour y parvenir.”
Nshuti MBABAZI, Responsable Plaidoyer Afrique de Better than Cash Alliance – Rwanda
Hormis le côté conférence du Biashara Afrika 2024 il y avait aussi des exposants venus de plusieurs pays africains notamment les jeunes entrepreneurs et les femmes qui se disent prêts à saisir les opportunités de la ZLECAf. Quelques faits saillants sur le projet de marché unique incluent le fait qu’il pourrait aider à sortir de la pauvreté extrême plus de 30 millions d’Africains. On s’attend également à ce qu’il puisse booster les revenus africains de 450 milliards de dollars US à l’horizon 2035, donc 7% de la croissance des revenus africains.