En Afrique, le secteur agricole représente 20 à 40% du produit intérieur brut du continent. Pourtant, moins de 3% des crédits bancaires lui sont alloués. Or, selon la Banque mondiale, il faudrait investir plus de 80 milliards de dollars par an pour répondre à la demande alimentaire du continent. L’accès à des services financiers appropriés est donc une condition indispensable pour réaliser le potentiel de l’agriculture africaine. Pour relever ce défi, plusieurs initiatives ont été mises en place. C’est notamment le cas de Thrive Agric, une entreprise agro-technologique qui aide les agriculteurs africains à augmenter leurs rendements. Pour cette édition nous recevons Uka Eje, CEO Thrive Agric. Avec lui, nous allons discuter des défis du financement de l’agriculture en Afrique.
En mars 2022, vous avez atteint un nouveau palier. Votre start-up Thrive Agric a levé 56,4 millions de dollars pour soutenir les petits agriculteurs qui sont votre cible principale. Vous envisagez d’utiliser ce financement pour votre expansion. Qu’est-ce qui justifie votre attirance pour les marchés que vous visez ?
La raison pour laquelle nous nous intéressons particulièrement aux petits exploitants agricoles ruraux en Afrique est que, près de 80 à 90 % de la production agricole est largement réalisée par eux. Ce sont des agriculteurs qui disposent de moins d’un hectare à un hectare de terres, disponibles pour leurs productions. Nous pensons que pour construire une Afrique qui nourrit le monde et se nourrit elle-même, nous devons commencer par mettre l’accent sur ces petits agriculteurs. De là, nous pouvons étendre la surface de leurs terres pour l’agriculture ainsi que la taille de leurs productions.
En tant qu’entreprise technologique de 4 ans, vous visez maintenant à élargir votre base d’agriculteurs, qui compte actuellement plus de 200 000. Sur quels critères sélectionnez-vous les agriculteurs qui peuvent accéder à vos services ?
Nous passons par un processus d’intégration rigoureux, pour vérifier leur solvabilité. Il s’agit d’une approche communautaire où différents membres de la communauté appuient les agriculteurs qu’ils connaissent. Ce sont des agriculteurs qui ont déjà des terrains cartographiés. En fait, nous les aidons à cartographier leurs terres pour nous assurer qu’ils ne sont pas étrangers à la culture que nous ciblons. Nous utilisons une technologie appelée AOS (Agriculture Operating System). Il s’agit d’une plate-forme d’identification du client qui aide à modérer les agriculteurs et également à s’assurer qu’ils sont solvables avant de leur fournir des intrants. Nous sommes ouverts à tous, hommes, femmes et jeunes. Cependant, nous pensons que dans de nombreuses communautés, la participation des femmes à l’agriculture est limitée. Nous essayons de résoudre ce problème en les impliquant dans de multiples activités commerciales, voire dans la production Nous encourageons vivement certaines activités commerciales qui incluent les femmes dans leurs communautés.
L’objectif de Thrive Agric est de construire le plus grand réseau d’agriculteurs africains rentables capables d’assurer la sécurité alimentaire dans leur pays. Quel modèle économique déployez-vous pour atteindre cet objectif ?
Notre modèle économique consiste premièrement en l’amélioration de l’accès aux intrants à savoir les semences, les engrais et les produits agrochimiques moins chers aux agriculteurs. Deuxièmement, nous nous assurons que les agriculteurs ont accès à des conseils, afin qu’ils sachent comment cultiver au mieux et qu’ils soient imprégnés des meilleures pratiques agronomiques. Troisièmement, nous leur facilitons l’accès au marché.
En 2022, votre impact s’élève à plus de 35 000 hectares cultivés pour plus de 500 000 tonnes de céréales commercialisées. Dans un contexte où de nombreux pays africains risquent de connaître des pénuries céréalières, avez-vous pensé à une stratégie pour réduire la dépendance des pays africains aux importations de céréales ?
La forte dépendance à l’importation, en particulier pour la nourriture, est l’un des facteurs qui handicapent nos économies à travers l’Afrique actuellement. Pour résoudre ce problème, nous essayons de construire des partenariats stratégiques avec des Etats du monde entier où se trouve notre entreprise pour qu’elles voient la valeur d’efforts plus intenses de la part des gouvernements afin d’étendre notre portée aux petits agriculteurs. Comme je l’ai dit au départ, tant que nous n’aurons pas renforcé et augmenté la participation des petits exploitants agricoles en leur donnant accès à ce dont ils ont besoin, nous ne pourrons pas construire une Afrique en sécurité alimentaire.
Vous pensez que les marchés alimentaires locaux sont l’épine dorsale de l’économie agricole informelle de l’Afrique. Sachant que votre mission est de faire le lien entre les agriculteurs et les sources de financement, quel rôle pensez-vous que l’appui financier peut avoir dans l’amélioration des circuits de distribution des produits agricoles ?
De nombreuses institutions financières ont aujourd’hui limité leurs activités avec les petits agriculteurs. La raison en est simplement que de nombreux petits exploitants agricoles ne sont pas solvables et ne sont pas bancarisés. Il est donc difficile de les suivre. Ce que nous faisons est de créer une identité pour ces petits agriculteurs. Nous ne nous contentons pas uniquement de leur fournir des intrants, car si nous les leur donnons, la question est de savoir comment nous pourrions nous assurer que l’ensemble du processus reste cohérent. C’est pourquoi nous créons une identité pour ces petits exploitants agricoles afin que dans un an ou deux, cette identité soit bancable. Le financement peut être communiqué à ces petits agriculteurs. Cela bouscule tout le système. Les intrants peuvent alors aller aux agriculteurs qui pourraient récolter ce qui finira sur le marché.
Thrive Agric fait face à des défis. Vous êtes passé de l’absence de réglementation sur les plateformes de financement participatif dans le pays qui héberge votre siège social, le Nigeria, à la sensibilisation sur l’importance de l’inclusion des petits agriculteurs dans l’industrie agricole africaine. Comment avez-vous réussi à poursuivre vos activités malgré ces obstacles ?
Pour le moment, l’entreprise donne la priorité aux investisseurs institutionnels, locaux et internationaux. Nous voulons nouer des partenariats avec les bonnes personnes possédant les bonnes compétences. Comme je le dis toujours, construire une Afrique qui puisse nourrir le monde et se nourrir elle-même ne se fera pas grâce à un seul individu. Donc, avoir accès à des esprits éclairés, des gens qui croient que c’est possible est la meilleure façon d’y arriver. Avoir accès à d’autres parties prenantes aussi, des Africains aux esprits libres qui croient que nous pouvons résoudre ce problème, notamment le problème de l’insécurité alimentaire, de l’importation et celui que vous avez mentionné à propos des céréales, nous pouvons tous les résoudre grâce à nos agriculteurs locaux.