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Reportage – Cameroun : briser les chaînes des troubles mentaux

La situation des personnes atteintes de maladie mentale préoccupe les autorités camerounaises. Soucieux d’une meilleure prise en charge de ceux-ci, ils ont lancé en 2021 la campagne “zéro malade mental dans les rue de Yaoundé”. Une politique qui donne des résultats. Plus de 950 patients pris en charge et 650 stabilisés et réinsérés.  Dans ce reportage on vous amène en immersion dans le quotidien du personnel soignant en charge de ces patients au Village de l’amour. 

Stade de la SNH à Yaoundé au Cameroun. Laure et quelques-uns de ses collègues se préparent pour une rencontre spéciale de football. L’un des sports les plus pratiqués dans ce pays d’Afrique Centrale. La particularité de cette rencontre, c’est la différence entre les profils des adversaires. L’équipe des Jaunes est constitué dans son ensemble, de personnes atteintes de maladie mentales. Pour la rencontre de ce jour, l’effectif entrant c’est pour la plupart, des patients qui ont pu retrouver une certaine stabilité. Sur la pelouse, il font montre d’une certaine cohérence, sous les cris et autres encouragements de leurs encadreurs, qui sont pour ces athlètes, des stimulis. Cette partie de football, au-delà d’un simple exercice physique revêt des enjeux importants pour ces personnes en quête de repères de toutes sortes, de la remise en forme physique à la reconstitution de la dignité humaine, en passant par le développement d’hormones essentielles au bien-être.

Il est important pour eux de mener des activités physiques de temps en temps. Tout le monde le sait, elle a des bienfaits sur le plan physique, et qui fait du bien à tous les organes du corps, le cœur et autres; ça augmente la capacité de résilience, c’est-à-dire de faire face aux difficultés de la vie. L’activité physique libère des endorphines qui assurent le bien-être de l’individu, qui le mettent dans un état de bonne humeur; eux-mêmes se sentent valorisés, acceptés.

Laure Mengueme, Médecin psychiatre, responsable technique du Village de l’amour

La partie s’achève, 1-0 au profit des malades en jaune. Ils auront réussi à renverser l’équipe adverse malgré leur handicap. C’est tout joyeux qu’il regagnent leur cadre de prise en charge, le village de l’amour que coordonne le Dr Laure Mengueme, directeur de la santé mentale à la direction de la promotion de la santé mentale. C’est un espace spécial, aménagé au sein de l’hôpital Jamot de Yaoundé, connu pour la prise en charge des personnes souffrant de troubles psychiques. Ici on retrouve pour l’essentiel, des personnes atteintes de maladies mentales récupérées en errance dans la ville de Yaoundé. L’activité impulsée par les autorités locales, en l’occurrence la communauté urbaine de Yaoundé, ambitionne de redonner de leur dignité à ces malades là, qui demeurent des personnes et qui ne sauraient vivre dans des conditions d’incurie

Ce projet  a pour objectif, d’amener les population à participer à l’encadrement des personnes atteintes de maladie mentale et d’assurer le bon ordre urbain parce que la place d’un être humain ne se trouve pas dans le rue, dans les poubelles pour ce qui est des personnes atteintes de maladie mentale; leur place se trouve dans des structures hospitalières ou dans des communautés soit dans des familles.

Ngono Metomo Denise, Directeur des affaires sociales, culturelles et sportives communauté urbaine de Yaoundé

Il faut s’armer de patience et d’amour pour mener à bien ses objectifs dans cette activité. En plus d’être essentiellement des bénévoles pour ce qui est du personnel encadreur du village de l’amour, les défis qu’ils doivent relever sont énormes. Entre étroitesse de l’espace, inconfort et insuffisance logistique, les encadreurs font avec les moyens parfois rudimentaires, mis à disposition pour aider les patients et autres pensionnaires à retrouver leur dignité. Un appel à l’endroit des personnes de bonne volonté dont tout apport est bénéfique au succès de l’entreprise.

C’est une formation sanitaire qui ne dit pas son nom, puisque ces personnes ont non seulement des problèmes de santé mentale mais également ceux de santé physique. On rencontre des cas de bagues qui se sont incrustées avec le temps dans la chair et dont il faut parfois réaliser une amputation, et parfois c’est des plaies infectées chroniques avec lesquelles il faut dealer au quotidien. En face, ce sont des personnels bénévoles qui s’emploient depuis trois ans; c’est un véritable challenge où eux-même, dans un état de vulnérabilité, prennent en charge des personnes vulnérables. 

Laure Mengueme, Médecin psychiatre, responsable technique du Village de l’amour

Une fois arrivé à huit heures, on va s’enquérir du rapport de garde, on fait le ronde, ensuite on va planifier les soins. Parce qu’il y en a qui on besoin d’injections, de comprimés, et même d’une assistance psychologique. Nous travaillons ici non pas seulement comme infirmiers, c’est une équipe pluridisciplinaire.

Victor Kouonetchou Kengne, Infirmier spécialisé en santé mentale

Au village de l’amour, les malades bénéficient d’un suivi pluriforme. Bien être physique, prise en charge psychologique mais aussi ergothérapie. Toute chose qui contribue à restituer à la personne malade, de la confiance, de l’estime de soi, mais aussi une certaine stabilité. D’ailleurs nombre des pensionnaires de l’établissement, travaillant aux côtés des encadreurs sont des personnes jadis, dites “foles”. Appelées ici data managers, elles aident le personnel dans certaines tâches domestiques, notamment la propreté, la cuisine ou encore l’approvisionnement en eau. 

Vous voyez par exemple que l’espace est propre, mais ce n’est pas nous qui faisons le balayage; au tout début de l’activité nous le faisions mais au fur et à mesure qu’on en a des patients stabilisés, ils prennent la main. En plus de ceux qui font la propreté, il y en a qui se charge de fendre le bois de chauffage, de la vaisselle, et aussi, qui vont se charger d’aller chercher de l’eau en cas de rupture sur le site.

Victor Kouonetchou Kengne, Infirmier spécialisé en santé mentale

Tout comme Gabriel, qui distribue de l’eau à l’atelier médication, ou Souley, qui joue le vigile et le protocole auprès de ses pairs, André Micheline, 40 ans et mère de 5 enfants, est une patiente stabilisée, qui exerce désormais en cuisine. Elle séjourne au village de l’amour depuis un peu plus de trois mois. 

Lorsqu’on arrive en cuisine le matin, on vaque aux occupations que l’on trouve. Les ménagères dirigeantes peuvent nous aider à identifier certaines tâches prioritaires. Certains vont vers la vaisselle, tandis que d’autres s’emploient à la propreté. Et les garçons s’y mettent aussi avec le bois à fendre ou encore porter des charges lourdes. Et donc nous sommes ensembles, on apprend d’elles et elles apprennent aussi de nous et ça nous prévient des crises de nerf. ça nous fait vivre une ambiance familiale quoi.

André Micheline, Malade stabilisé

Mais l’autre défi que doivent relever les initiateurs de ce programme autant que les encadreurs, c’est celui du rejet et de l’abandon des leurs. André Micheline s’est retrouvée au Village de l’amour avec l’accord des siens. Mais depuis lors, elle n’a jamais plus eu de leurs nouvelles. Pourtant son plus grand souhait est de retourner en famille.

Je n’ai pas encore reçu une visite, un rendez-vous jovial qui montre que j’ai une famille de l’autre côté. Pourtant c’est mon vœux le plus cher.  J’ai des enfants et je voudrais les revoir surtout comme l’école à commencé. Je veux vraiment rentrer à la maison vaquer à mes petites occupations.

André Micheline, Malade stabilisé

Nous sommes satisfaits. Nous ne voyons plus autant de personnes atteintes de maladies mentales dans nos rues, le nombre à considérablement diminué.

Directeur des affaires sociales, culturelles et sportives communauté urbaine de Yaoundé

Les personnes atteintes d’une maladie mentale représentent 6,3% des formes de handicap les plus répandues au Cameroun. Yaoundé, la capitale, grâce à cette initiative, a un tout autre visage.  Celui d’une ville moins encombrée par ces malades là, qui pullulent souvent dans les rues et offrent de biens hideux spectacles. Selon la Communauté urbaine de Yaoundé, depuis son lancement en novembre 2021, le projet a pris en charge 950 patients, dont 693 ont été libérées avec succès et réintégrées dans la société. 

On  stabilise plusieurs, ils sont réinsérés mais ça ne passe pas toujours au niveau de la réinsertion malgré la psycho éducation parce que les familles ne sont pas patientes. Il ce challenge là de la perception de la maladie mentale qui n’est pas acceptée en tant que telle.

Laure Mengueme, Médecin psychiatre, responsable technique du Village de l’amour

Jadis incomprise des populations en raison de certaines légendes urbaines, qui évoquait l’usage des personnes démentes dans des pratiques dites “mystiques”, la campagne « Zéro malade mental dans les rues de Yaoundé » trouve désormais un écho favorable auprès de celles-ci. Certains des résidents du village de l’amour, ont intégré cette communauté à la demande de leurs proches, et c’est tout heureux qu’ils retrouvent leur famille, une fois le malade stabilisé. 

C’est le cas de Yvonne que nous avons retrouvé dans sa résidence située dans le quatrième arrondissement de Yaoundé, à Odza. Cet après-midi là, Evelyne Essiane, médecin spécialisée en santé mentale et personnel encadreur au village de l’amour, lui rend une visite de suivie médical.  C’est bien heureux qu’elle est accueillie par la famille Tsala. Yvonne, 42 ans et mère de 2 enfants a été réinsérée en famille après un séjour de trois mois au village de l’amour. Près des siens, elle mène désormais une vie normale auprès des siens. 

Je n’aime pas trop, ça prend trop de temps. Mais ça ne me dérange pas. Je me sens bien en famille, je suis heureuse d’être retournée auprès de mes enfants, je m’occupe d’eux, je leur fais à manger, ils vont à l’école et je suis.

Kana Tsala Yvonne Sandrine, Patient stabilisé

Le travail du Village de l’amour est perceptible. ça a beaucoup aidé ses enfants sur le plan psychologique. A son retour de là, nous étions content des changements. Ses petites crises ou humeurs, sont désormais négligeables parce qu’en plus d’être quelqu’un de chère, on connaît son histoire.

Tsala Rosalie
, Mère de Yvonne

Satisfaite des progrès réalisés par Yvonne dans son processus de réinsertion sociale, le Dr Evelyne peut repartir sereine.

Le résultat s’observe plus dans le comportement, aujourd’hui on peut compter sur Yvonne. On a contrôlé ses médicaments et on peut constater qu’il y a des jours où elle n’en a pas pris mais le traitement, on le respecte.

Evelyne Essiane, Docteur spécialisé en santé mentale 

Entre exigences financières, accompagnement psychologique et même spirituelle, assurer le suivi des personnes démentes relève parfois du chemin de croix pour les familles. Ce qui de l’avis des experts pourrait expliquer l’abandon et le rejet de ces derniers.

Tout l’argent que j’ai travaillé est fini sur la maladie de ma fille sinon la barraque ci ne serait pas ainsi. Je suis là, on dirait une sinistrée. Toute ma famille me pleure parce qu’ils savent que j’ai déjà trop souffert. Pour eux, j’ai un cerveau d’acier, je devrais déjà avoir craqué ou attrapé un AVC.


Tsala Rosalie
, Mère de Yvonne

Conscient de cette réalité, les autorités camerounaises à travers la campagne « Zéro malade mental dans les rues de Yaoundé », ambitionnent de réduire la pression de la charge mentale des familles en matière de gestion des personnes atteintes de maladie mentale. Toutefois pour les autorités, assurer le suivi de la réinsertion sociale et de l’autonomisation demeure un casse-tête en raison du fait que certains patient viennent des villes lointaines et la localisation de leurs familles n’est pas toujours aisée.

Au regard de la montée des attitudes déviantes dans la société, notamment les violences et agressions sous différentes formes, la consommation de drogues et de stupéfiants, les médecins lancent la sonnette d’alarme. Car ces faits sont des prémices de la manifestation de la maladie mentale quand ils ne sont pas des causes dormantes de ces pathologies.  

Par ailleurs, le personnel soignant fait le plaidoyer en faveur de la campagne « Zéro malade mental dans les rues de Yaoundé », dont les besoins sont énormes; le plus urgent étant l’alimentation et les médicaments. En outre, le nombre de malades, en constante croissance, le rapport capacité et effectif dans le village de l’amour laisse s’installer la promiscuité. D’où la nécessité de l’extension du site et le renforcement de l’offre et de sa capacité de prise en charge. 


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