Au Cameroun, face aux défis d’accès à l’emploi, les jeunes, présentés comme le fer de lance de la nation par le chef de l’Etat Paul Biya, se créent des opportunités pour valoriser leur potentiel. La 58ème édition de la fête de la Jeunesse, célébrée le 11 février 2024, rappelle la contribution de cette catégorie de la population aux objectifs de développement du pays, à travers le thème retenu par les pouvoirs publics: « Jeunesse, import-substitution et patriotisme économique pour le progrès du Cameroun ». Quels sont les aspirations et défis de cette frange de la population camerounaise? C’est l’objet de notre enquête.
Tchouda est un passionné de danse, passion qu’il met à profit dans un groupe de danse et performance culturelle. Au quotidien, son groupe et lui font des prestations payantes, qui permettent au groupe de vivre. Une vie, au jour le jour. Mais Tchouta est un journaliste formé, titulaire d’une licence professionnelle. Son métier, il ne l’exerce pas encore, du moins, il attend de décrocher un emploi, ayant déposé des demandes d’emploi dans des structures de son domaine. En attendant, il gère les contrats de prestation que son groupe gagne de temps en temps pour vivre.
“Je suis d’abord journaliste de formation, mais la danse c’est un autre don que j’ai voulu mettre en exergue. Hélas je n’ai pas encore trouvé de boulot. Pour l’instant, on dépose les demandes et on attend. Il est vrai qu’on connaît la situation de notre pays, on se dit que ça viendra à point nommé, nous on fait notre part qui était de fréquenter et avoir des diplômes. Maintenant on dépose les demandes d’emploi, et en attendant, on ne va pas rester les bras croisés, c’est pourquoi on essaie de faire d’autres choses”.
Tchouda Leyebe Guy, Artiste danseur – Cameroun
Tout comme Tchouda, ce sont des milliers de jeunes camerounais autant ou plus diplômés qui attendent de décrocher un emploi dans le privé mais principalement dans l’administration. Pourtant, le gouvernement n’a pas la capacité d’absorber tous ces jeunes camerounais issus des écoles de formations et des universités à travers les initiatives prises; à l’instar de l’opération lancée en 2011 pour le recrutement de 25 000 diplômés; ou encore les postes régulièrement ouverts à la Fonction publique dont près de 2700 postes en 2023.
Selon la 3ème enquête sur l’emploi et le secteur informel réalisée en 2022 et rendue publique fin octobre 2023 par l’Institut national de la Statistique (INS), 500 mille personnes soit 3,3% de la population en âge de travailler sont en situation de chômage sur les 16,3 millions de personnes en âge de travailler. Mais, certains, comme François, ont réussi l’exploit de s’autonomiser en se lançant dans l’entrepreneuriat, à travers les activités agropastorales. Installé à Nkozoa dans la banlieue de Yaoundé, la capitale du Cameroun, le jeune homme fait dans l’élevage de porcs, de poulets de lapins mais aussi dans l’agriculture. Nous sommes allés à sa rencontre, et ce matin-là, c’est la routine dans l’une de ses fermes, située à Nyom, où il fait de l’élevage de lapins. Il faut assainir leurs cages, vérifier qu’ils sont en bonne santé et changer les abreuvoirs autant que les gamelles qui servent d’écuelles aux bêtes. Cette activité permet à françois de mener une vie paisible. Car, le lapin est un animal dont la viande, prisée et coûteuse, est en forte demande. Il faut débourser jusqu’à 9000 FCFA pour s’offrir le kilogramme de sa viande. François n’a pas été à même de satisfaire la demande de sa clientèle sur le mois de décembre.
“Je n’ai pas essayé d’entrer dans la fonction publique. Parce que, dans ma logique, il s’agissait de m’auto-employer; de pouvoir générer de l’argent par mes propres moyens. C’est pourquoi je me suis lancé dans l’agro-pastoral.”
François Bitomo, Entrepreneur agropastoral – Cameroun
François a bénéficié de subventions du PEA-Jeune, le Programme de promotion de l’entreprenariat agropastoral, l’un des nombreux programmes mis en place par les autorités camerounaises pour favoriser l’insertion socio-économique des jeunes. Grâce à ce soutien, le jeune entrepreneur a pu diversifier ses activités agropastorales et atteindre le stade de l’autonomie comme le vise ces programmes.
“J’ai eu la chance d’être financé par le PEA-Jeune, et c’est de là que tout a décollé. Vu la rentabilité du poulet, j’ai décidé de me lancer véritablement dans l’agro-pastoral, parce que c’est très rentable et on n’a pas besoin de grands investissement pour se lancer, il faut juste oser.”
François Bitomo, Entrepreneur agropastoral – Cameroun
A cause de la forte demande, le secteur agro-pastoral offre une multitude de solutions entrepreneuriales que ce dernier a su saisir pour aujourd’hui être non seulement son propre employeur mais surtout de pourvoir des emplois à ses semblables. Parce que le chômage et l’autonomisation des jeunes sont identifiés comme quelques-uns des défis majeurs auxquels fait face cette frange de la population camerounaise, et que les politiques doivent relever. Plus encore, il permet de résorber en partie le défis de l’import-substitution qui est l’une des causes de la balance déficitaire au Cameroun. Selon le rapport de l’Institut national de la statistique (INS) sur les comptes nationaux trimestriels publié le 27 novembre 2023, le Cameroun accusait un déficit commercial de 396,5 milliards de FCFA à fin 2023.
“C’est au regard du potentiel que nous avons dans notre pays et des importations qui en résultent, que nous creusons le déficit de la balance commerciale de notre pays. L’objectif recherché est de dynamiser la production locale, pour garantir à notre pays, d’abord l’autosuffisance alimentaire, limiter l’importation des produits manufacturiers, mais surtout produire les biens dont le Cameroun dispose d’un avantage comparatif certain.”
Achille Bassilekin III, Ministre des PME, de l’Economie sociale et de l’Artisanat – Cameroun
A côté des défis liés à l’emploi il y a celui de la formation, en corrélation avec le précédent. Car la formation conditionne l’employabilité et même la capacité à entreprendre. On peut également parler de l’industrialisation, véritable frein à l’essor des initiatives d’une jeunesse à l’affût de la moindre opportunité.
“Il faut des entrepreneurs, des jeunes entrepreneurs; parce qu’on ne peut pas avoir autant de richesses, une main d’œuvre abondante autant que de consommateurs et n’avoir pas de jeunes pour produire. Il faudrait que les jeunes se forment dans les métiers innovants, les métiers qui vont contribuer à la croissance: les métiers de l’agriculture, de l’industrie, des services… ”
Julien Ateba Onguene, Economiste – Camerounais
Jeunesse, import substitution et patriotisme économique pour le progrès du Cameroun, c’est le thème choisi au Cameroun pour la célébration, le 11 février 2024, de la 58ème Fête nationale de la jeunesse. A l’aune de cette célébration, d’autres défis demeurent urgent à relever, notamment l’incivisme et des déviances diverses. Les pouvoirs publics veulent inciter tous les jeunes à participer à la construction nationale et à la vie politico-économique du Cameroun.