Lors de la conférence de Cuba sur la Décennie internationale des personnes d’ascendance africaine qui s’est tenue à la Havane en république de Cuba du 9 au 13 décembre 2024, les participants ont eu l’occasion de reparcourir l’histoire de la traite négrière à travers des visites de lieux historiques. Parmi ces sites, le port de La Havane, autrefois l’un des points clés du commerce transatlantique. Les participants ont également exploré les ruines des barracones où les esclaves étaient retenus avant d’être vendus. Le Musée des Routes de l’Esclavage, situé à Matanzas, a exposé des reliques telles que des chaînes, des outils de travail forcé et des registres documentant les transactions commerciales d’esclaves. Les récits poignants d’esclaves libérés, inscrits sur des plaques de mémoire, ont également marqué les esprits. Ces lieux, marqués par l’histoire, ont servi de rappel puissant des souffrances endurées, tout en soulignant la résilience des Afro-descendants. Cette démarche a renforcé l’importance de transmettre cette mémoire collective pour combattre le racisme systémique et valoriser les contributions des Afro-descendants dans la construction des sociétés modernes.
La Conférence internationale sur la décennie des Afro-descendants, qui s’est tenue du 9 au 13 décembre 2024 à Cuba, a été un événement marquant qui a réuni 240 délégués venus de 30 pays pour réfléchir sur le thème « Égalité, équité et justice sociale ». Cette rencontre mondiale a eu lieu dans un contexte de montée des discriminations raciales, malgré les initiatives internationales pour y remédier.
À La Havane, les représentants de plusieurs nations, experts et militants ont échangé pendant cinq jours sur les moyens de bâtir des sociétés inclusives. Au menu : reconnaissance, justice et développement pour les personnes d’ascendance africaine ; la voie vers une lutte plus efficace contre le racisme.
Depuis la déclaration de Durban en 2001, qui a proclamé la décennie internationale des personnes d’ascendance africaine (2015-2024), des efforts significatifs ont été faits pour reconnaître les injustices historiques subies par les afrodescendants.
Cuba a joué un rôle important, nous sommes fiers sur trois points de venir à Cuba, parce que Cuba est l’un des pays qui a accueilli les premiers Africains qui ont été déportés, les premiers Africains qui ont été arrachés à l’amour de leur peuple, de leur continent, de leur terre, et qu’on amené ici. Nous sommes fiers, nous sommes fiers aussi de venir vers vous, parce que vous, Cuba, vous avez joué un rôle important dans l’indépendance des peuples africains et des pays africains. Nous n’oublierons jamais, venus d’Afrique, que c’est grâce à vous, et grâce au vaillant peuple du Cuba, aux combattants cubains, que certains pays africains ont conquis leur indépendance.
ROBERT DUSSEY, Ministre des Affaires étrangères du Togo
Cuba, terre marquée par l’histoire de la traite transatlantique des esclaves, est un lieu hautement symbolique pour aborder ces enjeux. Le pays a joué un rôle central dans la traite transatlantique de l’esclavage et porte encore les stigmates de cette période, visibles dans sa culture, sa population et son tissu social.
L’Afrique et sa diaspora, y compris les Afro-descendants, ont payé un lourd tribut à l’histoire. Comme vous le savez, l’exploitation et la domination ont parfois pris à leur égard les formes les plus viles, à savoir l’esclavage et la colonisation. Encore aujourd’hui, malheureusement, nous vivons les séquelles de ce traumatisme sur le continent africain. Et cette Afrique qui continue à vivre ce néocolonialisme se sent de plus en plus proche du pays. Parce que depuis 1959, déjà, vous aviez par la révolution, par les grandes figures de la révolution cubaine, en parlant de José Marti et de Fidel Castro, changé la mentalité dans votre pays et dans le monde. Ce monde que nous appelons, que certains appellent le Tiers-Monde, que nous plaisons à appeler aujourd’hui le Sud-Global, a le regard tourné vers vous.
ROBERT DUSSEY, Ministre des Affaires étrangères du Togo
La conférence de Cuba s’inscrit également dans un contexte mondial marquée par une prise de conscience accrue des impacts historiques et contemporains de l’esclavage et du racisme systémique. L’événement s’insère dans une série d’initiatives visant à mettre en lumière l’histoire des populations d’origines africaine, leur contribution aux sociétés modernes et les défis auxquels elles restent confrontées au quotidien.
L’un des temps forts de cette conférence a été marqué par une initiative symbolique : revisiter les lieux marqués par l’esclavage colonial. Des plantations aux ports négriers, des marchés aux esclaves, avec pour but d’éduquer les générations actuelles sur les réalités historiques, préserver la mémoire des millions d’Africains déportés et de leurs descendants, encourager un tourisme culturel responsable, axé sur le devoir de mémoire.
Je me suis rendu compte au bout de 4 jours que les Cubains sont en train de maintenir intact le cordon ombilical qui existe entre les Cubains et les Africains. Il y a quelqu’un qui a dit dans les panels que sans l’Afrique, le Cuba ne serait rien. Et ça c’est une reconnaissance forte que les Cubains ont de vouloir faire de sorte que l’histoire de leurs ancêtres soit racontée, soit transmise aux jeunes générations.
NGAKANE GNING, Participante
Ce voyage au cœur des lieux de mémoire nous plonge dans un passé sombre, tout en nous rappelant l’importance de transmettre cette histoire pour construire un avenir plus juste.
La population qui était née de l’Afrique a montré vraiment de la résilience malgré tout, malgré toute la souffrance. On a le privilège vraiment d’avoir la culture africaine comme un héritage pour l’humanité.
NORMA GIOCOCHEA ESTENOZ, Présidente de l’association cubaine des Nations Unies
À Cuba, les traces de la traite négrière demeurent profondément ancrées dans le paysage et dans les mémoires. Entre le XVIe et le XIXe siècle, soit un peu plus de trois siècles, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants ont été capturés dans leurs régions d’origine, principalement en Afrique de l’Ouest et centrale, puis déportés vers les colonies des Amériques, dont Cuba. Arrachés au continent africain, à leur terre, à leur culture et à leurs habitudes, ils ont traversé l’Atlantique pour être réduits en esclavage.
Quand on se retrouve dans ce genre d’endroit, on a des frissons. Parce que chaque pierre qu’on touche, chaque bois qu’on touche, nous rappelle notre connexion à ces hommes et femmes arrachés de nos terroirs. On s’est dit, ça aurait pu être une tente, une arrière-grand-tente, une arrière-grand-mère qui appelait nos noms, qui se souvenait de sa vie chez nous. Et quand on se reconnecte à ce passé, on voit la douleur, mais aussi on voit l’espoir. L’espoir qu’il y a parce qu’on a retrouvé des frères et des sœurs qui sont fiers de nous voir, et nous aussi fiers de les voir.
LUCIEN EDJAIDE, Participant
Malgré les conditions extrêmement difficiles, les Afro-descendants ont résisté de différentes manières, notamment à travers des révoltes, des évasions et des réseaux de communautés marronnes (esclaves fugitifs). Ils ont également préservé une partie de leur culture africaine, qui s’est mélangée aux traditions espagnoles et indigènes pour former une identité culturelle unique.
Malgré la force, malgré la terreur du côlon, les Africains ont gardé leur dignité, leur honneur, au point qu’un jour, ils se sont rebellés, pour dire non, on en a assez. Donc ce courage-là, en ce moment, ça a été quelque chose de très symbolique de la part des africains.
NGAKANE GNING, Participante
Aujourd’hui, la population cubaine est fortement métissée, et les influences africaines restent visibles dans la culture, la musique, la danse, la gastronomie et la spiritualité. Cependant, l’histoire de la traite et de l’esclavage reste un chapitre sombre qui continue de marquer la mémoire collective, et influencer le sort de ces afrodescendants aujourd’hui disséminés à travers le monde.
La conférence rappelle que les Afro-descendants continuent de faire face au racisme systémique, aux discriminations et aux inégalités socio-économiques. Les débats visent à proposer des pistes concrètes pour améliorer leur inclusion sociale, politique et économique dans les pays où ils vivent.
Je pense que pour nous tous, que nous soyons blancs ou noirs, c’est la façon dont nous nous mettons au défi de créer un monde meilleur pour l’avenir. Qu’est-ce que cela signifie dans un sens ? Comment pouvons-nous trouver des moyens créatifs par lesquels nous pouvons tous trouver un processus permettant de vivre dans le monde sans nous détruire ? Il se passe beaucoup de choses dans le monde développé et également dans le monde sous-développé. Les inégalités qui existent entre ces deux mondes, l’Est et l’Ouest, ne sont pas durables. Et alors, comment y pensons-nous de ce point de vue ? Et aussi nous mettre au défi de trouver de meilleures façons de vivre ensemble, de construire des communautés, mais aussi de partager des informations et des ressources.”
DANNY LEBERN GLOVER, Acteur américain,
Aujourd’hui, la Décennie internationale des Afro-descendants, célébrée à travers une conférence unique, offre une opportunité de revisiter cette histoire douloureuse. La conférence de Cuba vise à rappeler que ces injustices trouvent leurs origines dans des systèmes historiques comme l’esclavage. Il s’agit donc d’un appel mondial à reconnaître ces racines, à valoriser les contributions des Afro-descendants et à garantir leur inclusion dans les processus de décision à tous les niveaux.
À Matanzas, le Musée des Routes de l’Esclavage offre un espace unique de réflexion et de mémoire. Ce lieu rassemble des archives et des objets qui retracent le parcours des esclaves africains depuis leur capture jusqu’à leur vie en esclavage à Cuba, mais aussi une histoire de lutte antiesclavagiste, de résistance et de dignité.
En fait, le Cuba est rempli d’histoire. Et nous apprécions ce qu’ils font en termes d’éducation et en termes de construction de sites historiques forts. Nous sommes ici à Cuba pour la conférence des Afro-descendants. Et il apparaît que le choix de Cuba pour cette conférence est très, très disrupteur. Nous avons visité les sites hier à Matanzas. Nous avons vu les origines de l’esclavage africain. Et comment les esclaves africains sont transportés à Cuba. Et nous sommes ici aujourd’hui dans le musée d’Afrique. Il s’appelle la Casa de Africa, la maison d’Afrique.
ABDULRAHMAN TERAB, Participant
Le musée ne se limite pas à la douleur. Il célèbre aussi la résilience et l’héritage culturel des Afro-descendants, en exposant des éléments de leur spiritualité et de leur identité transmis de générations en générations.
Face à un passé marqué par l’injustice et la souffrance, les Afro-descendants de Cuba et d’ailleurs portent un message de résilience. La mémoire de la traite négrière n’est pas seulement une histoire de douleur, mais aussi une histoire de survie et de transmission culturelle, de fierté. Cette mémoire est une force : celle qui relie le passé au présent et inspire des combats pour un monde plus humain.
Nous sommes fiers de nos racines africaines, parce qu’il y a toujours une attitude de résilience. Parce que c’était l’esclavage. La population qui était née de l’Afrique a montré vraiment de la résilience malgré tout, malgré toute la souffrance.
NORMA GIOCOCHEA ESTENOZ, Présidente de l’association cubaine des Nations Unies
Ce pèlerinage historique sur les traces de la traite négrière ne se limite pas à la commémoration d’un passé douloureux, il résonne également comme un appel à l’action contre les injustices actuelles, en particulier la lutte contre le racisme et les discriminations.
De La Havane à Matanzas, des quais silencieux aux salles d’exposition remplies de souvenirs, chaque lieu raconte une partie d’une histoire universelle : celle de l’esclavage, de la souffrance, mais aussi de la résilience.
En transmettant cette mémoire, nous bâtissons des ponts entre les générations et entre les cultures. Que ce voyage sur les traces de la traite négrière serve d’inspiration pour un monde où l’humanité prime sur la division. Cette conférence est bien plus qu’une rencontre académique : elle constitue une étape cruciale pour la justice, la réconciliation et la promotion d’une société plus équitable. Marcher sur les traces de l’esclavage, c’est non seulement rendre hommage à ceux qui ont souffert, mais aussi œuvrer à un avenir où les erreurs du passé ne se reproduiront plus.