Arrivé à la tête du Gabon le 30 août 2023, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), présidé par le général Brice Oligui Nguema, avait entrepris de gouverner le pays avec la participation de tous les citoyens. Volonté matérialisée par l’organisation du Dialogue national inclusif, qui a rassemblé près de 700 participants au stade d’Angondjé au nord de la capitale Libreville du 3 au 27 avril. Ces délégués, qui ont analysé plus de 38 000 doléances des citoyens recueillies en amont du Dialogue, ont proposé diverses actions à mettre en œuvre pour un “Nouveau Gabon” sur le plan économique, social et politique. Les réformes nécessitant une révision constitutionnelle seront examinées par une assemblée constituante avant d’êtres soumises au référendum.
Le 26 août 2023, des élections générales sont organisées au Gabon, dont la présidentielle. Ali Bongo Ondimba, élu pour une première fois à la tête du Gabon en octobre 2009, après le décès de son père Omar Bongo, puis réélu en 2016 pour un septennat, brigue à nouveau la magistrature suprême. Le 30 août 2023, aux premières heures, entre 3h et 4h du matin, Le Centre gabonais des élections (CGE) le proclame vainqueur avec 64,27% des voix. Dans la foulée, des Forces de défense et de sécurité gabonaises, réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI), avec à leur tête le général Brice Oligui Nguema, décident de prendre le pouvoir en annulant les élections du 26 août, qualifiées de “tronquées”.
Depuis l’avènement du CTRI, des voix s’élèvent au Gabon et critiquent la gestion du pouvoir par le PDG (le Parti démocratique gabonais) en général et Ali Bongo en particulier. Cette gouvernance a été largement remise en question au Dialogue national inclusif tenu du 3 au 27 avril 2024 à Libreville et organisé à l’initiative du CTRI et du gouvernement de transition de Raymond Ndong Sima.
“La nuit du 29 au 30 août 2023 sera à jamais gravée dans la mémoire du peuple gabonais. On se souviendra qu’à cette date nos vaillantes forces de défense et de sécurité, réunies au sein du Comité pour la transition et la restauration des institutions en abrégé CTRI, ont, par un coup salvateur, un coup de libération, délivré un peuple entier meurtri, opprimé par un régime brutal, liberticide et autoritaire.”
Murielle Minkoue Mintsa, Ministre de la Réforme des institutions, rapporteur général du DNI
“Le PDG est un vieux parti de plus de cinquante ans. Mais le PDG, qui, sûrement, à l’origine, était pur et limpide, s’est malheureusement sali, comme le deviendrait toute rivière. Vous le savez, toutes les rivières à la source sont limpides, propres, mais, traversant villes et villages, on y jette des ordures et elles se salissent. Il s’avère que, depuis la mort du président Omar Bongo, et l’accession à la magistrature suprême de son fils, mon frère Ali Bongo Ondimba, tout a changé et basculé. Le Gabonais qui était fier d’être Gabonais, qui aimait bien rester dans son pays, a commencé à s’expatrier; on parle même d’exilés politiques. Et puis le Gabonais a commencé à se sentir étranger chez lui, le Gabonais a commencé à se faire arracher les terres chez lui; on a décidé que la fonction publique ne recrutait plus. Pendant huit années, les enfants apprenaient mais ne pouvaient pas avoir d’emploi, au point où nous avons aujourd’hui un taux de chômage de plus de 30%. Toutes ces accumulations, comme le disait tout à l’heure le professeur Zomo Gabriel, tous les indicateurs étaient au rouge.”
Mgr Jean Bernard Asseko Mve, Porte-parole du Dialogue national inclusif – Gabon
En amont du Dialogue national inclusif, l’ancien opposant Raymond Ndong Sima, nommé Premier ministre de transition le 7 septembre 2023, avait lancé, le 2 octobre 2023, un appel à contributions citoyennes. Ce sont ces contributions, 38 140 au total selon le décompte du ministère de la Réforme des institutions, qui ont été réparties pour examen aux 12 sous-commissions et trois commissions du Dialogue national inclusif. Parmi ces contributions, des citoyens souhaitaient une dissolution du PDG. Si la Commission politique, qui a examiné ces doléances, a entendu l’appel de certains citoyens, elle a néanmoins choisi des sanctions moins radicales.
“Au titre de la thématique Institutions et régimes politiques, voici les conclusions : rendre la future Constitution rigide, stable, inviolable et intangible en certaines de ses dispositions fondamentales; renforcer notamment les droits fondamentaux des citoyens et leur garantie tout en tenant compte des valeurs socioculturelles du pays; choisir un régime qui garantit un meilleur fonctionnement des institutions de la République. A cet effet, les commissaires proposent de consacrer dans la future Constitution un régime présidentiel; durcir les conditions de création des partis politiques; suspendre tous les partis politiques jusqu’à la mise en place de nouvelles règles de création des partis politiques; suspendre le Parti démocratique gabonais et les partis politiques alliés à ce parti: et également rendre inéligibles ses principaux responsables pendant trois ans.”
Noël Bertrand Boundzanga, Président de la commission Politique au Dialogue national inclusif
Les sanctions préconisées contre le PDG concernent les partis alliés et personnes ayant assumé des fonctions dans l’ex-parti au pouvoir entre 2016 et 2023. Des précisions ont été fournies sur les différents responsables qui seraient frappés.
“Frapper d’inéligibilité les anciens et actuels dirigeants du PDG: président du parti, secrétariat exécutif, bureau politique, comité permanent, conseillers et distingués camarades, conseil consultatif des sages et différents partis alliés de 2016 à 2023, aux prochaines élections politiques.”
Murielle Minkoue Mintsa, Ministre de la Réforme des institutions, rapporteur général du DNI
L’interdiction pour les dirigeants du Parti démocratique gabonais de briguer la magistrature suprême en 2025 ou 2026 touchera aussi des acteurs politiques membres du gouvernement de la transition. En effet, en dehors du président de la transition, le général Brice Oligui Nguema, les autres hauts responsables ne sont pas autorisés à faire acte de candidature à la prochaine élection présidentielle. Les délégués au Dialogue national inclusif ont choisi pour cela de maintenir des dispositions de la Charte de la Transition gabonaise du 4 septembre 2023.
“Sur la durée de la transition et la candidature des autorités de la transition. Soucieux d’un retour rapide à l’ordre constitutionnel et de respecter les engagements pris vis-à-vis de la communauté internationale, les commissaires adoptent les conclusions suivantes : maintenir, tel que précisé dans la Charte de la transition, la durée de la transition à deux ans maximum et prolonger d’un an si nécessaire; affirmer les dispositions de la Charte quant à la candidature des autorités de la transition, notamment, précisément : le vice-président de la République, les membres du gouvernement, les présidents des institutions de la transition, telle est la volonté des commissaires.”
Murielle Minkoue Mintsa, Ministre de la Réforme des institutions, rapporteur général du DNI
Outre les questions politiques, à partir desquelles a été recommandé également la non-reconnaissance de l’homosexualité; le durcissement des conditions d’immigration et d’obtention de la nationalité; les défis économiques et sociaux du Gabon ont aussi été examinés au Dialogue national inclusif. Dans le secteur économique, les délégués ont pris des mesures pour résorber le chômage des jeunes et accroître la participation des nationaux dans les activités économiques telles que les transports publics, l’agriculture, les mines, des secteurs dominés par des étrangers. Dans un pays où les revenus des exportations dépendent à plus de 60% des hydrocarbures, le nouveau Gabon compte sortir de l’économie de rente en valorisant mieux les mines et le bois par la transformation, en soutenant l’agro-industrie et les services.
“S’agissant de la diversification, nous appartenons à la Cemac; et il y a un programme économique régional. Dans ce programme économique régional, nous avons essayé de regarder les avantages révélés; et nous savons à peu près qu’il va falloir, au niveau de la sous-région, réaliser une politique ou une stratégie industrielle. Dans cette stratégie, évidemment, le Gabon pourrait investir dans les minerais, nous avons suffisamment de minerais; dans le bois, nous avons quand même un avantage comparatif par rapport aux autres pays de la Cemac; nous pouvons également privilégier les services où nous avons quand même des services relativement de bonne qualité, on peut encore les améliorer c’est vrai.”
Gabriel Zomo Yebe, Président de la commission Économie au Dialogue national inclusif
En ce qui concerne le social, les recommandations visent une plus grande protection et valorisation des travailleurs, des sportifs et des cultures du Gabon, des jeunes.
“Une des recommandations, c’est d’améliorer l’accès au foncier pour tout Gabonais, effectivement très très jeune. Faciliter l’accès au crédit, peut-être même dès qu’on est étudiant, pourquoi pas ? pour des familles démunies, en tout cas mettre en place une véritable politique de logements sociaux pour les familles démunies. Il faut construire des logements sociaux, il faut surtout bien redistribuer ces logements. Ici il est également question de revoir quelles sont les familles cibles pour l’acquisition de ces logements et également pour l’attribution des terrains comme on dit au Gabon.”
Pr Elsa Ayo Bivigou, Présidente de la commission Sociale au Dialogue national inclusif
La mise en œuvre des recommandations du Dialogue national inclusif passera par l’adoption de textes législatifs ou réglementaires appropriés et la mise en place de l’assemblée constituante qui préparera la nouvelle Constitution à soumettre au référendum avant l’organisation des élections. Le président de la transition s’y est engagé.
“Mes frères d’armes et moi-même accordons la plus haute valeur à cette œuvre commune, la plus formelle des vocations; nous qui avons pris l’engagement de défendre la patrie jusqu’à en mourir s’il en était besoin.”
Brice Oligui Nguema, Président de la transition – Gabon
“La cérémonie qui nous réunit, en ce jour, est un moment solennel, qui marque la clôture du Dialogue national inclusif. Au moment où il s’achève, je suis convaincu que notre mission a été bien accomplie, grâce à Dieu, et que cette concertation historique est une réussite.”
Mgr Jean-Patrick Iba-Ba, Archevêque de Libreville, président du Dialogue national inclusif
Interrogés par Africa24, les délégués, qui ont participé aux différentes recommandations du Dialogue national inclusif organisé à l’initiative du CTRI, ont souligné sa spécificité par rapport aux dialogues nationaux antérieurs en ceci qu’il rassemblait des personnes issues de “toutes les couches sociales” et d’origines diverses, dont des Gabonais de la Diaspora.
“De manière générale, je suis satisfaite. Ça a été un moment d’échange, ça a été une expérience très riche, que ce soit sur le plan spirituel, que ce soit sur le plan humain, que ce soit sur le plan intellectuel.”
Marie-Josée Ayi Ngomo, Membre de la Confédération de la diaspora gabonaise (G10)