Esplanade de la mairie du sixième arrondissement à Yaoundé ce 3 août 2024, tout à l’air d’une scène carnavalesque avec des jeunes gens arborant des tenues d’un autre genre. Tantôt osé, extravagant tantôt light, digeste ou plutôt… digne des jeux vidéo avec des monsters machines. Ici tout semble sortir de l’ordinaire. En fait, ces personnes jouent plutôt très bien le jeu. Japan maniaques, ils essaient au mieux de se fondre dans leur personnage animé préféré, leur idole; ce sont tous des Otaku, animées par une sorte d’attraction simplement fanatico immersive de culture japonaise contemporaine, notamment dans les domaines du manga et des jeux vidéo. Nous sommes au K-mer Otaku Festival. L’événement qui célèbre au Cameroun la culture du pays du soleil levant, le Japon, la culture de la bande dessinée, l’animation, le jeu vidéo, le cosplay, la musique et autre forme de pop culture à travers ses amoureux se veut le lieu de promotion du talent créatif camerounais en matière d’industrie de la BD.
“L’évènement est là pour célébrer la culture Otaku, mais aussi pour mettre en lumière le talent des camerounais qui se projette dans cet univers ou qui exerce dans ce métier parce qu’il n’est pas toujours évident de trouver des lieux d’expression et d’exposition pour toucher les publics cibles. On a donc créé cet événement pour qu’il soit une sorte de plate-forme pour faciliter cela.”
Diane MBENG, Informaticienne / Otaku – Cameroun
L’évènement qui est rendu à sa troisième année attire à chaque édition depuis 2022, de milliers de personnes. Pour cette 3ème édition, les organisateurs avaient fait des projections sur 3000 visiteurs, mais l’événement a attiré près du double. Dans un contexte d’absence ou d’insuffisance d’espaces de loisir, l’événement permet aux visiteurs de trouver où se relaxer, se divertir ou simplement changer d’air. Les attractions semblent plutôt excitantes pour les visiteurs
“C’est ma première fois d’arriver au Khmer otaku festival. Je suis tellement ému, en plus je suis avec ma copine. L’ambiance est tout à fait festive et puis on rencontre plein de connaissances et les attractions sont originales du coup on s’amuse beaucoup.”
Regine et Alexandra MENGUE, visiteuses – Cameroun
“Ce qui fait l’originalité de cet évènement c’est simplement le fait qu’on peut se retrouver avec tous les autres otaku de Yaoundé, pour l’instant je me prends en photos, je visite et je mange. c’est ça mon bonheur ici.”
Audrey KITIO, Etudiante / Otaku – Cameroun
“Ma tenue est celle de l’Akatsuki, et là, c’est le bandeau de Konoha. Quant à la robe, il est vrai qu’elle n’est pas du style typique de l’animé, mais elle est du genre kpop c’est ce qui a orienté mon choix. L’une des choses que j’aime avec les animés c’est leur capacité à vous transporter dans un autre monde, vous faire vous sentir vous même.”
Yannis DALE, Otaku – Cameroun
“Moi, je suis venu me détendre et passer du bon temps profiter avec ma communauté, je sors d’une très longue semaine, c’est bien de relâcher un peu.”
Wilfried DJETO, Visiteur – Cameroun
Par centaines, les fans et autres passionnés d’animés, les Otaku ont pris d’assaut l’espace pour partager leur passion du 9ème art. Le cadre est pour ceux-ci l’idéal pour vivre sa passion sans complexe, être soi le temps d’un festival. La culture otaku, bien que peu connue, est ancrée dans les habitudes camerounaises et même chez les plus intellectuels. Nanami, Kenjaku, sakura, sasuke ou encore ironman, ils vont chacuns de leurs moyens pour ressembler au mieux à leurs favoris. Vanessa est une étudiante en soins infirmiers et kinésithérapie. Comme beaucoup d’autres elle fait office d’attraction à l’évènement.
“J’aime d’abord beaucoup les cultures asiatiques surtout celles japonaises et coréennes. Faire ceci me donne l’occasion de me connecter avec ce que j’aime, ma passion. Ces dessins sur mon visage sont issus de Jujutsu Kaizen, et ça c’est le hanbok, la tenue traditionnelle coréenne. Je fais une sorte de mélange des deux, et ça me plait, j’adore.”
Vanessa ATCHOUNGAN, Etudiante – Cameroun
Le K-mer Otaku Festival vise à dynamiser les secteurs culturels et créatifs du Cameroun. Il cherche à unir les forces des associations, des institutions, des jeunes, et des professionnels, tant au niveau national qu’international. L’objectif est de proposer des activités artistiques qui sont à la fois immersives, ludiques, de haute qualité et adaptées aux attentes du public. La culture otaku est en plein essor et devient un secteur générateur d’emplois dans des domaines tels que le graphisme, les jeux vidéo, le cinéma d’animation et la bande dessinée, mais la mode aussi. Justement parlant d’activité artistique, ludique et immersive, nous avons fait la rencontre de Linda, une jeune artiste créatrice de mode inspirée par sa passion pour les animés nippons. Annuellement elle confectionne plus de 200 modèles de tenues Otaku sur commande où de collection. Sur son stand, on s’arrache ses créations comme celle-ci, une réplique de l’habillement de Kenjaku dans l’anime Ju Jutsu Kaizen. 80% de uniformes et autres tenues de déguisement qui paradent au Khmer Otaku festival sont ses œuvres.
“On est spécialisé dans la confection de vêtements otaku, des tenues calquées de dessins animés. On a l’habitude d’en faire mais ça reste un défi pour nous, et c’est ici une occasion en or de présenter cela à la communauté otaku du Cameroun, d’Afrique et au monde entier. La communauté otaku montre un réel interêt à mes créations. mais pas que, il y a aussi des enfants qui ont besoin de se déguiser pour se sentir dans la peau de leur personnage. C’est ce rêve là que nous vendons.”
Linda DOUANLA, Créatrice de mode et Otaku – Cameroun
Nous la retrouvons sur la scène du concours du meilleur cosplay, un moment où l’otaku joue son personnage sur scène. Pour cet instant, Linda c’est plutôt Sangoku, personnage mythique du célèbre manga japonais Dragon ball Z. Comme elle, ils sont des dizaines à faire le tour sur la scène, tous jouant chacun le rôle d’un personnage animé. Mais c’est la culture de la lecture qui semble le plus préoccuper les acteurs locaux de la filière à cet évènement. Dans leurs stands, outre les gadgets et autres figurines des animés nippons, les créateurs bédéistes mettent en lumière des œuvres BD hybrides. Si les personnages de leurs sont calqués sur des modèles asiatiques, les histoires se veulent afro-centrées, reflet de leurs cultures et réalités. Une occasion de donner au secteur de la BD camerounaise, qui ne connaît pas un grand succès de la potence.
“Je crois que c’est une très belle opportunité pour les jeunes qui font déjà dans la BD de manière générale, mais aussi dans le manga en particulier. Donc c’est le lieu de rencontrer d’autres bédéistes, d’autres adeptes de mangas et de partager avec eux. C’est pas à nous le manga, c’est japonais; mais on peut s’approprier le manga en apportant quelque chose de nouveau, de camerounais ou d’africain. C’est un combat pour moi. Il faut qu’on fasse du mange certe, mais avec des histoires camerounaises, africaines pour que nos enfants puissent s’identifier mieux dans ce qu’on fait.”
Pondi, Graphiste Bédéiste – Cameroun
“On a constaté qu’il y avait une profusion d’œuvres non afrocentristes, ce qui déplaisait au public parce que disait-il ça faisait déjà vu. On a donc décidé de faire des trucs qui nous ressemblent, de sorte que lorsqu’un enfant va voir il va se reconnaître tant dans l’espace que dans les histoires. Il pourra reconnaître que là c’est le rond point Deido, le Monument de la Réunification, le Lycée Leclerc ou encore le Collège Alfred Saker. Donc on fait des œuvres qui nous parlent essentiellement.”
Ewane Alain, Bédéiste – Cameroun
“Ce qu’on fait ici c’est surtout la mise en avant du côté africain du 9ème art, que ce soit dans la bande dessinée ou alors dans le design. On met en avant des personnages typiquement africain, un décor africain et des histoires propres à chez nous.”
Alain luccin NGUESSONG – Bédéiste – Cameroun
Malgré un intérêt existant avec environ 2,5 millions de lecteurs possibles pour le marché du livre, le secteur de la bande dessinée au Cameroun continue de faire face à de nombreux écueils. Notamment, l’insuffisance ou la quasi inexistence de maisons d’édition spécialisées, handicapé par l’étroitesse du marché et lié à la faiblesse du pouvoir d’achat de la population locale; des circuits de diffusion et de distribution frileux, mais aussi l’absence de structures de promotion des BD.
“En ce qui concerne la BD locale, on consomme mais il y a encore beaucoup de travail à faire. Comparons la situation avec le Japon. Au Japon il y a des éditeurs prêts à accompagner les bédéistes alors qu’ici au Cameroun, les bédéistes sont abandonnés eux mêmes; ils doivent produire, faire imprimer, faire la communication et même s’occuper de la vente. Il y a aussi le fait qu’on est submergé par des contenus qui viennent de l’extérieur.”
Njoka SUYRU, Co-fondateur et Responsable des Relations publiques Zebra Comics – Cameroun
“Narration trans médiatique, de la bande dessinée au jeu vidéo (ou inversement), étendre l’univers narratif à travers les médias” ; édition et distribution de la bande dessinée au Cameroun: défis et opportunités, sont quelques uns des thèmes de conférences ayant meublé les activités en marge du festival Kmer Otaku festival. Objectif: trouver des solutions à l’essor de ce secteur vecteur d’emploi.
“L’exposé parle du jeu vidéo, de l’adaptation du jeu vidéo à la bande déssinée, on va plus ou moins parler des subtilités qu’il faudrait. Donc que ce soit la bande déssinée, que ce soit le jeu vidéo, il y a beaucoup de boulot derrière mais il y a de petites choses qui diffèrent et qu’on veut montrer aux plus jeunes.”
Pondi, Graphiste Bédéiste – Cameroun
Les acteurs du 9e art, trouvent ici au Khmer Otaku festival, le rendez-vous avec l’opportunité de renverser la tendance des faiblesse de l’industrie de la BD et de l’animé en promouvant aussi un plus grand accès aux contenus grâce au numérique. L’idée des acteurs de la BD camerounaise est de discuter des opportunités et potentiel du marché de la BD comme catalyseur économique mais surtout stimuler la productivité dans le secteur. Les entreprises Adinkra et Zebra Comics font ici la promotion de la BD digitale, au travers de plateformes numériques qui facilitent l’accessibilité des contenus via internet. Des applicatifs qui ont le mérite de disponibiliser online et offline, de la BD numérique, un contenu jeûne basé sur la culture locale mais aussi d’élargir le marché.
“Zebra Comics est une plateforme de diffusion des œuvres, des BD créées localement. Aujourd’hui notre catalogue compte environ 80 œuvres, des bandes dessinées et des livres illustrés pour enfants, numériques. Le numérique nous sauve vraiment parce que notre plus grand marché par exemple aujourd’hui c’est le Nigéria, ensuite il y a le Cameroun et la Côte d’ivoire. Grâce au numérique on peut vendre dans le monde entier.”
Njoka SUYRU, Co-fondateur et Responsable des Relations publiques Zebra Comics – Cameroun
“Nous avons lancé tout d’abord la plateforme Adinkra jeunesse, développée par Adinkra qui nous permet de mettre les enfants avec un contenu jeunesse typiquement africain. Pour éviter que les enfants restent connectés tout le temps, nous avons développé des versions android et IOS pour permettre aux enfants de télécharger des livres qu’ils pourraient lire où qu’ils se trouvent. Nous avons voulu toucher une cible d’africains et afro descendants par le biais de contenus typiquement Africains.”
Doumou Didier, Concepteur graphique aux éditions Adinkra – Cameroun
Karaoké, jeux de société ou jeux vidéo, défilé de mode, e-sports, pop culture ou encore atelier de dessin, autant d’activités interactives et dynamiques pour démocratiser les univers manga et de rassembler un grand nombre d’utilisateurs et de consommateurs autour de passions communes dans la perspective de promouvoir l’industrie de la bande dessinée mais surtout vulgariser les métiers qui émanent de ces secteurs d’activité dans la sous-région.